Un rêve, une interprétation, une bévue par Lynn Gaillard

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Cornell University à Ithaca NY possède une importante collection des manuscrits, lettres et souvenirs de la vie et de la carrière de James Joyce. J´ai eu le privilège de les consulter. Parmi ces documents, l´un est intitulé « Carnet narrant 4 rêves… 1916 ». Voici une transcription de l’écriture de Joyce du premier rêve et de son interprétation :

À une représentation au théâtre

Une pièce récemment découverte de Shakespeare

Shakespeare est présent

Il y a deux fantômes dans la pièce

La peur que Lucia ait peur

 

Interprétation : Je suis peut-être derrière ce rêve.

La « nouvelle découverte » est reliée à ma théorie

du fantôme dans Hamlet et l’émotion du public

est peut être reliée à une publication de cette

théorie, de cette théorie ou de ma propre pièce.

Le personnage de Shakespeare présent en costume

Élisabéthain suggère la célébrité, la sienne certainement

(c’est le tricentenaire de sa mort) la mienne

pas avec autant de certitude. La crainte pour Lucia

(elle est petite) est la crainte que soit des honneurs à venir ou

des développements futurs de mon esprit ou de mon art

ou de ses excursions extravagantes en territoire interdit

puissent amener du désordre dans sa vie

 

Sa lecture m´a excitée. Quelle trouvaille, un rêve de Joyce dans lequel il associe les effets possibles de son art et de son esprit sur sa fille Lucia, alors âgée de 9 ans, dont la psychose devint seulement évidente lorsque jeune adulte.

En me préparant à écrire cette note, je décidai de voir si je pourrais trouver une référence à la théorie de Joyce sur Hamlet dans sa biographie par Richard Ellman. J´y appris que la rêveuse était Nora, sa femme, et l´interprétation celle de Joyce. Pour Joyce, le savoir est de son côté.

Cette « découverte » m’a troublée. Ce petit incident était une manifestation de mon propre « je ne veux rien savoir ». Si le rêve avait été celui de Joyce, pourquoi aurait-il écrit au début de son interprétation : « Je suis peut-être derrière ce rêve ». Lorsque je m’aperçus que le rêve était celui de Nora, il devint clair que j’avais bien vu ce feu clignotant, mais que j’ai inconsciemment choisi de l´ignorer. Mon désir d´avoir découvert quelque chose qui pouvait être intéressant pour mes collègues m´a rendue aveugle, non seulement aux détails dans le texte qui auraient dû m´avertir que j’avais manqué quelque chose, mais aussi au fait que d´autres avaient fait cette découverte avant moi. Une bévue !